RIEN A DIRE
C’est moi, là, sirotant mon vin
Tombé de zénith en nadir
Moi qui me prétends écrivain
Eh bien ce soir j’ai rien à dire
Je jette un’ pièce à la patronne
Et puis j’attrap’ ma veste en cuir
Un client fait : « bonn’ nuit, Bossone ! »
Je réponds rien, j’ai rien à dire
Et je dériv’ sur les trottoirs
Les réverbèr’ ont d’affreux rires
C’est fou c’que la nuit devient noire
Putain, quand on a rien à dire
« Ce n’est pas à coups de silence
Que l’on se bâtit son empire »
Tels sont les mots de ma conscience
Ell’ parle, et moi j’ai rien à dire
Comme un violeur prend position
Je sors mon stylo pour écrire
Mais on n’ viol’ pas l’inspiration
Non, rien à fair’, j’ai rien à dire
Les rues défil’ et j’accélère
Je songe à me reconvertir
C’est navrant, mais de quoi j’ai l’air ?
Moi, l’auteur qui n’a rien à dire
Et j’entends les étoil’ qui causent
La Poésie doit me maudire
Tant de sujets, de nobles causes
Et moi, moi qui n’ai rien à dire
Je crois’ des feux, des MacDonald
Cett’ nuit va-t-elle enfin finir ?
Et je songe à Scott Fitzgerald
Bordel, pourquoi j’ai rien à dire
Et je cours à travers la ville
Je cours, je cours pour m’étourdir
Pour oublier l’état servile
De celui qui n’a rien à dire
Oui je cours à travers la ville
Je cours, je cours pour m’engloutir
Qu’ell’ sont cruell’ et qu’ell’ sont viles
Ces nuits où l’on a rien à dire
Ces nuits où l’on a rien à dire…
DECOMPLEXE
On se voit beau
On coiffe un nouveau chapeau
On vit une heure
On perd, on gagne
La poussièr’ nous accompagne
On vit, on meurt
On toise, on dupe
On glisse un doigt sous la jupe
On vit une heure
On rit, on boit
On se marie, et puis quoi ?
On vit, on meurt
Refrain
C’est un jeu
Très complexe
Mais moi je
Décomplexe
On s’ saoule, on danse
On court sous le ciel immense
On vit une heure
On gueule, on brille
On va seul et on vacille
On vit, on meurt
On siffle, on cause
On kif’ le parfum des roses
On vit une heure
On roule, on braille
On s’écroul’ dans la bataille
On vit, on meurt
Refrain
Bridge :
On se bouscule
On savour’ les crépuscules
On crie, on croit,
On est tous des Christ en croix
On fêt’ ses vingt ans
On les jett’ dans le printemps
On vit une heure
On cass’ des pierres
On s’embrass’ dans la lumière
On vit une heure
On fend son crâne en criant : « No pasarán ! »
On vit une heure
On trique, on troque
On fabrique notre époque
On vit une heure
Refrain
GÖTTINGEN
Paroles et musique de Barbara
© 1964 Editions Métropolitaines
Bien sûr, ce n’est pas la Seine,
Ce n’est pas le bois de Vincennes,
Mais c’est bien joli tout de même,
A Göttingen, à Göttingen.
Pas de quais et pas de rengaines
Qui se lamentent et qui se traînent,
Mais l’amour y fleurit quand même,
A Göttingen, à Göttingen.
Ils savent mieux que nous, je pense,
L’histoire de nos rois de France,
Herman, Peter, Helga et Hans,
A Göttingen.
Et que personne ne s’offense,
Mais les contes de notre enfance,
“Il était une fois” commence
A Göttingen.
Bien sûr nous, nous avons la Seine
Et puis notre bois de Vincennes,
Mais Dieu que les roses sont belles
A Göttingen, à Göttingen.
Nous, nous avons nos matins blêmes
Et l’âme grise de Verlaine,
Eux c’est la mélancolie même,
A Göttingen, à Göttingen.
Quand ils ne savent rien nous dire,
Ils restent là à nous sourire
Mais nous les comprenons quand même,
Les enfants blonds de Göttingen.
Et tant pis pour ceux qui s’étonnent
Et que les autres me pardonnent,
Mais les enfants ce sont les mêmes,
A Paris ou à Göttingen.
O faîtes que jamais ne revienne
Le temps du sang et de la haine
Car il y a des gens que j’aime,
A Göttingen, à Göttingen.
Et lorsque sonnerait l’alarme,
S’il fallait reprendre les armes,
Mon cœur verserait une larme
Pour Göttingen, pour Göttingen.
LA TOMBE
Cette tombe était ancienne
Ell’ présentait encor bien
Cette tombe était la sienne
A lui qui ne m’était rien
Elle était blanch’ sous les feuilles
Et légèr’ment lézardée
Comme ell’ me faisait de l’œil
Moi, je m’y suis attardé
Qui es-tu
Toi qui dors là sous la pierre ?
Que fis-tu
Sous le chaud soleil d’hier ?
Souriais-tu
Quand on ferma tes paupières ?
M’entends-tu ?
Cette tombe était ancienne
Ell’ dormait sous le lilas
Cette tombe était la sienne
Et moi je passais par là
D’épitaphe et de grand deuil
Ell’ n’était plus trop fardée
Ell’ m’adressait un clin d’œil
Alors je l’ai regardée
Qui es-tu
Toi qui dors là sous la pierre ?
Que fis-tu
Sous le chaud soleil d’hier ?
M’entends-tu
Toi que berce la poussière ?
Qui fus-tu ?
Je fus ce brave type
Qui t’embrass’ quand il part
Je fus le prototype
De tous les salopards
Je fus un ambitieux
Qui manqua d’ambition
Je fus un vrai vicieux
Comblé de fellations
Je fus un acrobate
Qui chuta du trapèze
Je fus un psychopathe
Je fus celui qu’on baise
Je fus tué dans mon bain
Par électrocution
Je fus un Jacobin
Sous la Révolution
Je fus bourgeois sublime
Gorgé de petitesse
Je fus cet anonyme
Qu’on pleur’ par politesse
Je fus Sanguinair’ Joe
Qui fit trente ans de bagne
Ouvrier chez Peugeot
Héros sous Charlemagne
Je fus l’ami d’un chien
Qui creva sur mon cœur
Je fus un chirurgien
Un putain d’arnaqueur
Je fus un érudit
Fier de son étendard
Je fus un abruti
Qui rêva d’être une star
Je fus un mousquetaire
Au temps des fleurs de lys
Moussaillon solitaire
Sur le bateau d’Ulysse
Je fus, ma vie durant,
Joueur de flûte à Orthez
Je fus un conquérant
Dans l’armée de Cortès
Je fus, qui s’en dout’rait,
Fabricant de boutons
Je fus berger distrait
Qui perdit ses moutons
Je fus moine en Asie
Bouddha me fit voir clair
Je fus soldat nazi
Dans le siècle d’Hitler
Je fus un écrivain
Mort de n’avoir pu naître
Un amateur de vin
Fustigé par les prêtres
Je fus un amoureux
Qui n’eut jamais de chance
Je fus un con fiévreux
Je suis mort pour la France
Enfin je fus ton frère
Ton frère
Enfin je fus ton frère
Toujours ton frère
Cette tombe était la sienne
En ce jour, oui, mais demain,
Cette tombe ell’ sera mienne
C’est la ronde des humains
GALWAY
Quand les homm’ auront tout dit
Quand la coup’ sera pleine
Quand le cœur sera comme un’ cage
Quand trônant sur mon pays
Bêtise sera reine
Je ferai mes bagages
Et m’en irai…
Quand les canons chanteront
Plus fort que les poèmes
Quand rien ne restera d’avant
Quand les jours trist’ éteindront
L’amour et la bohème
Moi je suivrai le vent
Et m’en irai…
Refrain
Je m’en irai
Comme disent les anglais :
« Goodbye ! I’ll be on my way… »
Je m’en irai
Dans les nuits de janvier
Pour aller vivre à Galway
Quand les homm’ auront menti
Sans éprouver de peine
Quand les cochons seront cossus…
Quand les homm’ auront brandi
Le drapeau de la haine
Je cracherai dessus
Et m’en irai…
Refrain
En rayon de soleil brillant sur le matin…
En ménestrel sur le chemin…
Refrain
SCARLETT
Et le voilà encor ce soir
Huit heur’ à la pendul’ du bar
Il entre, il salue et il dit :
« Whisky ! »
Les clients le trouv’nt assez drôle
Ce type avec son air tout triste
Ils dis’en haussant les épaules :
« Pfff, ces artistes… »
Car lui il écrit des chansons
Ou du moins il essaie, mais bon…
Y a le loyer, et les ennuis,
Et son pèr’ qui croit trop en lui…
Quand la nuit tombe et qu’il étouffe
C’est ici qu’il reprend son souffle
Dans ce bar où ell’ lui sourit
Tout en lui servant son whisky,
Scarlett…
Il voudrait lui dir’ : « je t’emmène !
J’ai pas un’ tune, à peine un toit,
C’est vrai j’ai rien, mais viens quand même,
J’suis un auteur, mon heur’ viendra ! »
Et il est là, et dix heur’ sonnent
Il sent tout son cœur qui bouillonne
Alors il redresse la tête
Et dit : « Scarlett…
… un whisky »
Et le voilà un autre soir
Huit heur’ à la pendul’ du bar
Il entre, il salue et il dit :
« Whisky ! »
Comme il attend là en silence
Les clients croient que monsieur pense
Ils disent en secouant la tête :
« Bah… ces poètes… »
C’est vrai qu’il écrit des chansons
On a même dit qu’il était bon
Mais son succès comm’ les heur’ fuit
Et sa mèr’ tremble à caus’ de lui…
Quand la nuit tombe et qu’il étouffe
Il s’en revient pour prendre un verre
Et c’est ell’ qui lui rend le souffle
Quand ell’ s’approche et qu’ell’ lui sert,
Scarlett…
Il voudrait lui dire : « Je t’aime !
Je sais qu’il fait froid dans mes bras
Scarlett, oh, viens quand même
Je n’suis pas
Un loser ! »
Et il est là, minuit passé
Et son cœur qui va exploser
Alors il redresse la tête
Et crie : « Scarlett !…
… un whisky »
Et le voilà comm’ tous les soirs
Toujours huit’ heur’, toujours au bar
Juste un peu plus sombre aujourd’hui
Allez, ffuiitt, whisky !
Il n’a pas fini sa chanson
Mais maint’nant il s’en contrefout
Le monde a fait de lui son fou
Allez chant’, bouffon !
Et quand les rois auront bien ri
Peut-êtr’ qu’il se tranch’ra les veines
Et s’écroul’ra dans ses écrits
En songeant que la gloire est vaine
Oui, mais en attendant, ce soir
Il reste collé près du bar
Où Scarlett le frôl’ de ses doigts
En espérant qu’il l’emmèn’ra
Ce soir peut-être…
LES AMANTS DE LA SEINE
Paris dardait ses rayons
Vous et moi nous aimions
Au bord de la Seine
Nous laissions glisser nos cœurs
Sur le fil de ces heures
Le long de la Seine
Certains jours je disais : « J’ose ! »
Et vous offrais des roses
Vous étiez si belle
Nous vivions ivres de vent
Et dansions en buvant
Du vin de Moselle
Oh jolie demoiselle…
Qu’en est-il de l’amour
De ces amants ?
Paris était un fruit mûr
Vous et moi marchions sur
Les ponts de la Seine
J’y venais seul certains soirs
Quand, ne pouvant vous voir,
J’avais l’âme en peine
Oh jolie demoiselle…
Qu’en est-il de l’amour
De ces amants ?
J’avoue n’avoir jamais vu
Plus d’amour que j’en eus
Au bord de la Seine
Quand vous et moi la suivions
Sous le feu des lampions
Vos mains dans les miennes
Faut-il qu’il m’en souvienne ?
Où sont-ils tous ces jours…
Et ces amants ?
JAMAIS RESTER
Quand le soleil fleurit, jamais rester
Quand nos belles font des filles, jamais rester
Quand les villes s’endorment, jamais rester
Quand les cathédrales pleurent…
Quand la musique étreint, jamais rester
Quand tous nos mots s’apaisent, jamais rester
Quand ton cœur bat tranquille, jamais rester
Quand les souvenirs pleuvent…
Refrain
Oh Felice, jamais rester
Oh Felice, jamais…
Nous sous la lune
Mais je ne t’aime pas
Douce ma brune
Non je ne t’aime pas
Où s’en vont ces routes qui dansent dans la brume et m’emportent
Loin…
Je ne t’aime pas } × 3
Je ne peux pas
Quand le présent nous blesse, jamais rester
Quand la bière devient noire, jamais rester
Quand les rires se rident, jamais rester
Quand l’horloge ensorcelle…
Quand les fantômes s’éveillent, jamais rester
Quand le vent nous caresse, jamais rester
Quand l’heure s’immobilise, jamais rester
Quand rien ne m’est sévère…
Refrain
Quand les corps s’entrelacent, jamais rester
Quand la distance nous pressent, jamais rester
Quand mes larmes t’embrassent, jamais rester
Quand revient le silence…
Quand l’étranger se lève, jamais rester
Quand le tambour résonne, jamais rester
Quand le clown ouvre l’eau, jamais rester
Quand l’étoile me rappelle…
Refrain
DER LEIERMANN
Poème de Wilhelm Müller
Musique de Franz Schubert
Traduction de David Le Marrec
Drüben hinterm Dorfe / Devant le village
Steht ein Leiermann / Se tient un vielleux ;
Und mit starren Fingern / Par le froid et l’âge
Dreht er, was er kann. / Ses doigts jouent fiévreux.
Barfuß auf dem Eise / Pieds nus sur la neige
Wankt [1] er hin und her / Danse, vacillant,
Und sein kleiner Teller / Sa sébile beige
Bleibt ihm immer leer. / Le laisse larmoyant.
Keiner mag ihn hören, / Pas un pour l’entendre,
Keiner sieht ihn an, / Pas un pour le voir ;
Und die Hunde knurren [2] / Les chiens à le fendre
Um den alten Mann. / Mordent son frac noir.
Und er läßt es gehen / Il laisse le monde
Alles, wie es will, / Aller comme il peut ;
Dreht und seine Leier / Et ses doigts qui grondent
Steht ihm nimmer still. / Pressent le bois râpeux.
Wunderlicher Alter, / Dis, vieillard étrange,
Soll ich mit dir geh’n ? / Voudrais-tu mes chants ?
Willst zu meinen Liedern / Prêter à ma fange
Deine Leier dreh’n ? / Tes accents touchants ?
[1] Texte original de Müller : “Schwankt”.
[2] Texte original de Müller : “brummen”.
L’EMPIRE
« Bonjour, moi c’est Richard ! Ici, c’est mon empire,
De la porte à la piste et de la piste au ciel !
Vous avez l’air d’un ang’, vous savez mad’moiselle ?
Dans cette robe blanch’ vous brillez comme un cygne
Avec vos boucles blond’ on dirait Marilyn…
Viens danser viens danser
J’ai tout un tas d’trésors
Dans mon chapeau cachés
Viens danser viens danser
Si tu veux j’te les sors
Mais d’abord viens danser
Une danse et…ah tiens,
Mon verre est vid’… J’reviens.
Salut, moi c’est Richard ! Ici, c’est ma maison,
De la porte à la piste et d’la piste au plafond !
T’as l’air d’un ang’, tu sais ça mad’moiselle ?
Cette veste cintrée te va plutôt pas mal
Avec ton regard fier on dirait Clair’ Chazal…
Viens danser viens danser
Ma voiture est dehors
On pourra s’ balader
Viens danser viens danser
Si tu veux bien on sort
Mais d’abord viens danser
Une danse et… ah tiens,
Mon verre est vid’… J’reviens !
Coucou, moi c’est Ricard, et ici, c’est chez moi
De la porte à… la porte et… de la porte… à moi…
T’es un ang’, mad’moiselle ?
Avec tes hanch’ qui tangu’ et ton cul qui déchire
Dans ton costume orange on dirait… Casimir…
Mais c’est pas grave allez…
Viens danser viens danser
Je sais pas où tu dors
mais ça peut s’arranger…
Viens danser viens danser
Ce que tu veux j’te l’sors
On pourra s’amuser…
S’amuser, ouais… ah tiens,
Mon verre est vid’… J’reviens… »
Et un peu à l’écart
Accoudé au comptoir
Comm’ tous les sam’dis soirs
Pour sabrer le cafard
Moi,
Une pinte à la main
Je regarde Richard
On ne nous voit pas tous, mais nous somm’ là
Tous ces lions blessés dans l’ombre du bar…
Et les lumièr’ explos’ et les verr’ pleuvent
Des longs fauteuils en cuir à la piste de danse
Partout les corps se frôl’ sans jamais s’embrasser
Sous la bièr’ qui déferl’, dans la fièvre qui monte
Nous somm’ quelques milliards, ici c’est notre empire
De la porte à la piste et de la piste au ciel
Avec nos cœurs qui cour’ pour rattraper les rires
Que nous avons perdus au fond de nuits trop vieilles
Ici c’est notre empire
Ici c’est notre empire
LE CARGO NOIR
Longtemps je me suis vu en haut
Je me croyais unique ou presque
J’avais bien quelques idéaux
Des trucs d’écol’, des plans grotesques
J’ai fait du sport et perpétré
Des conn’ries, toujours mal à l’aise,
Et puis un jour j’ai rencontré
Le Dépressif aux Fleurs mauvaises
Le saint homme à nul autre idem
M’a dit : « j’ai un truc à t’fair’voir »
Je l’ai suivi et le jour même
J’ai découvert le Cargo noir
Ses voil’ embrassent les nuages
Les étoil’ , son mât de misaine
Sa coque est noir’ comme un orage
Et sa carène, un ciel d’ébène
Le beau navir’ brille, amarré
On y voit null’ trac’ de chaloupe
Un ange en orne le beaupré
Et un grand crâne blanc la poupe
Des marins à têt’ de Charon
Embarqu’ à bord quand vient le soir
Des rêv’ et des idées sans nom
Sans prix, tel est le Cargo noir
Comm’ rien ne m’attendait en ville
Et que l’esquif me plaisait fort
J’ai dit merci à mon Virgile
Et me suis engouffré à bord
J’ai vogué sur des mers d’extase
Enlacé des constellations
Chevauché sirèn’s et Pégases
Dans la lumièr’ des créations
Et un beau jour j’ai vu Lili
Qui, lors d’une escal’ dans un square,
Dans sa robe à fleurs m’a souri
J’ai déserté le Cargo noir
Lili et moi avons tracé
Traversé l’Italie en stop
Inventé de nouveaux baisers
Tapis dans l’ombre des échoppes
La nuit, mêlés sous le velux,
Nous échangions des apophtegmes
Je lui disais : « tu es mon luxe »
Ell’ me répondait : « non, je t’aime »
Nous étions souverains d’amour
Trônant dans une tour d’ivoire
Et mon âme au fil de ces jours
N’a plus songé au Cargo noir
Mais le temps ronge les amants
Comme l’océan ses épaves
Lili était triste à présent
Et sa rob’ dormait dans la cave
Moi je passais des nuits entières,
Sans plus trop me soucier des nôtres,
A fair’ des parties de poker
Avec Rimbaud, Dylan et d’autres…
Et les heur’ tournant, je songeais
En les regardant rire et boire
Que leurs yeux fiers me rappelaient
Ceux des marins du Cargo noir
Alors Nounours est arrivé
Avec ses yeux ronds et ses poils
Il fallait pour me remplacer
Quelqu’un qui fît office de poêle
Car ma Lili si délaissée
Au cours des ans avait pris froid
Quand l’animal l’a caressée
Elle a flambé comm’ du bon bois
Tous deux vers la Belgique ont fui
Un soir d’orage, et j’ai cru voir
Alors que s’abattait la pluie
Comm’ les remous du Cargo noir
La littératur’ sainte est folle
Car l’homme est bien peu spirituel
Et quand Prouhèze aux cieux se colle
Rodrigue écume les bordels
J’ai traîné, comm’ le fut Hector,
Ma pâl’ carcasse au cœur des villes
Hanté les rad’ le long des ports
Trinqué avec les imbéciles
Et puis quand leurs chants se sont tus
Sur un quai, seul, me laissant choir,
J’ai pleuré tout ce que j’ai pu
Et soudain vu le Cargo noir
Il brillait comme au premier jour
Dans l’ombre du port endormi
Les étoil’ lui faisaient la cour
La mer déroulait son tapis
Il attendait l’appareillage
L’ang’ familier montrait le ciel
J’ai songé à tout l’équipage
Et tourné l’œil vers la pass’relle
Rêvant aux trésors de ses cuves
Sans même m’en apercevoir
Happé par l’hypnotique effluve
J’ai regagné le Cargo noir
Aujourd’hui dans mes traversées
Je peine encor quand ton visage
Au cœur des longues nuits d’été
Vient me souffler quelques images
Les coups de triqu’ que donn’ Nounours
Entre tes fess’ qui apprécient
Matraqu’ mon cœur et mon amour
Comme un valet de comédie
Mais pardonne au marin, ma bonne,
Hollandais Volant dérisoire
Il err’ si loin de toi, pardonne
Et bénis donc son Cargo noir
Oui pardonne au marin distant
Qui sème en mer des grain’ de gloire
Pardonne et song’ de temps en temps
A moi et à mon cargo noir